Les Tanguy du Coronavirus

Les Tanguy du Coronavirus

FACE AUX SIGNES DE VIEILLISSEMENT, AUX ONDES NÉGATIVES OU AUX DIFFICULTÉS À COMMUNIQUER, ÊTRE UN(E) TANGUY LE TEMPS DU CONFINEMENT N’EST PAS DE TOUT REPOS INTELLECTUEL.

Pour nombre d’entre nous, l’annonce d’un confinement à venir ou la simple intuition que nous allions être chez soi pour un bout de temps avant même que le gouvernement n’aborde le sujet (comme ce fut mon cas du fait de mes échanges avec des amis vénitiens) nous a fait rentrer au bercail. Beaucoup de trentenaires indépendants et célibataires ou bien vivant dans un logement ne se prêtant pas à un confinement de deux mois ont toqué à la porte de Papa-Maman, bravant la crainte de les contaminer. Il est toujours plus aisé de traverser une période difficile à plusieurs. Le confinement chez les parents peut s’apparenter à des vacances, saupoudrées d’un retour aux sources dans sa chambre d’ado.  Je vous passe les généralités sur la difficulté de cohabiter avec d’autres adultes (qu’ils soient des êtres chers ou de simples colocataires) : qui ne les connaît pas ? Mais à la longue, le climat de vacances s’évapore, à commencer par la situation planétaire qui justifie le confinement. Vous vous heurtez probablement de plein fouet au choc des générations mais pas seulement : vos valeurs se confrontent à celles de vos parents qui, bien qu’étant de votre famille, sont des individus à part entière dont vous vous êtes indépendantisé en instaurant votre propre système de valeurs (bien souvent, à contre-exemple de ce que vous avez pu observer). Et puis, c’est un fait : vos parents vieillissent.

Être ou avoir, telle est la question

Vos parents n’ont probablement pas connu la guerre, ils ont au pire été conçus à l’issue de la deuxième guerre mondiale. Ils sont la génération « consumériste », née d’une explosion de publicité et de marketing à outrance. Née elle-même d’une génération qui a manqué de beaucoup. Pour être en sécurité, il faut « avoir » et ils ont travaillé une grande partie de leur vie à être en capacité d’avoir plus, preuve de réussite sociale, la peur majeure étant celle du manque. On ne peut pourtant pas les en blâmer tandis que nous sommes bien contents de rejoindre un logement avec un stock de pâtes et de boîtes de conserve supérieur au nôtre. Mais vous, vous avez travaillé à « être », comprenant bien que les richesses et les possessions peuvent être aliénantes (merci Fight Club). Vous avez probablement eu la chance de voyager à travers l’Europe avec la démocratisation des vols low-cost, la naissance de l’espace Schengen et le concept Erasmus. Vous vous êtes ouvert à d’autres cultures et avez pris conscience de votre chance (si ce n’est pas le cas et si pour vous, l’intérêt majeur du voyage est de s’en vanter auprès des autres, alors vous êtes toujours coincé dans la spirale de « l’avoir »). Puis, il faut dire que vous n’avez pas un compte épargne reluisant, il y a des chances que vous ayez souscrit un prêt étudiant sans oublier que le monde des années 2000, contrairement à celui de vos parents, ne vous garantissait pas un job à la sortie de l’école dans lequel vous feriez carrière pour une à deux décennies, avec ou sans diplôme. Bilan : vous préférez collecter des souvenirs que des objets.

Ma planète pour une lessive

Vous êtes la génération parente de celle qui prendra tout sur la gueule. C’est vous la génération qui devra rendre des comptes à ses enfants concernant le réchauffement climatique, la mauvaise utilisation de la technologie et l’économie mondiale. On ne vous accuse pas d’égoïsme, on vous demande juste de payer la note. Alors, si vous avez un peu de conscience, vous vous inquiétez de ce que vous laisserez derrière vous ou de comment vous allez pouvoir être utile du temps de votre passage ici-bas. L’écologie, le sexisme, la violation des droits, l’éducation, la surpopulation, la répartition des richesses… Depuis que vous avez débloqué votre potentiel « altruiste » vous voyez bien que la partie va être serrée. Histoire de ne pas sombrer, vous choisissez un combat et/ou un idéal à suivre. Vous commencez par trier vos déchets et vous ne riez plus aux blagues qui rabaissent les femmes et parfois vous avez des sueurs froides : comment va-t-on sauver la planète ? Pourtant, chez vos parents, faire des lessives alors que les serviettes n’ont été utilisées qu’une fois, « ce n’est pas grave ». En revanche, si vous oubliez le sous-verre pour poser votre café sur la table basse en noyer, c’est le ciel qui vous tombe sur la tête. Vous aimeriez trouver cela attachant, vous sentir comme chez Monica dans Friends ; hélas, cette hiérarchie des priorités vous dépasse et vous désole.

Si Wikipédia dit que les cochons volent…

Vous avez grandi dans un monde sans internet (même si vous avez oublié comment rester occupé sans votre smartphone), vous avez donc très tôt été formé à prendre chaque information comme une possible intox. Seul l’encyclopédie Encarta (dont le contenu était tiré des livres d’histoire) semblait sûre… Aussi, vous avez eu votre dose de réclame télévisuelle dès l’âge adulte (oui, les pubs Yop et Chocapic étaient sympa dans le temps) et vous ne croyez plus au bien-fondé des médias. Vous avez étudié l’économie qui se cache derrière les géants de l’info et vous savez que les titres chocs font du clic. La télé biberonne ses téléspectateurs à coups de faits divers et le meilleur moyen de développer une angoisse vis-à-vis du monde extérieur, c’est de rester branché à cette fréquence. Vos parents, eux, voient ici de la réelle information et s’estiment chanceux de pouvoir s’y abreuver en continue, comme connectés à « ce qu’il se passe réellement dans le monde ». À leurs yeux, le monde est dangereux, alors il vaut mieux se carapater chez soi, avec son stock de pâtes devant les chaînes hertziennes, et s’occuper de son pré carré. Mais vous, vous ne voulez pas juste vous occuper de votre pré carré ! Vous refusez donc de céder à la psychose des médias (même lorsqu’elle se fonde sur la base d’informations factuelles) et vous ne pouvez pas vous empêcher d’avoir un rictus quand trois infos données la veille sont démenties le jour d’après.

Être comme un coq en pâte

Vos parents ont un rythme de vie bien différent du vôtre et peut-être de celui que vous leur avez toujours connu, d’autant plus s’ils sont retraités. Pour votre part, vous êtes en télétravail. Vous ne savez pas vraiment combien de temps cela va durer, si vous serez payé(e)s un jour et vos deadlines ayant été perturbées, votre modjo l’est aussi. Alors, face à deux adultes qui font la sieste quotidiennement, apprécient la rediffusion des films patriotiques et ne voient aucun problème à rester à ne rien faire pendant plusieurs heures, il est difficile de se stimuler. Vous pensez que les inclure dans vos tâches permettra de créer du lien, alors vous les interrogez, partagez. Mais, au fond, c’est toujours la vidéo du chat sur internet ou le spectacle du voisin qui a fermé ses volets plus tôt ce soir qui vous vole la vedette. Vous grossissez. Si, on grossit chez ses parents. Si ce n’est pas à cause de la charcuterie corse, de la brioche vendéenne, du far breton, du vin de bordeaux, de la choucroute alsacienne ou de la quenelle lyonnaise, c’est à cause du stress. On grossit aussi car on profite de se faire dorloter ou de faire la grasse matinée, car on veut pouvoir s’imaginer qu’on ne manquera de rien… Tiens, une angoisse déjà évoquée…tout droit héritée des deux générations qui vous ont précédé !

Remercions tous les parents qui accueillent leur enfant-adulte durant le confinement. Voilà quelque chose de précieux.